Dans un contexte de difficulté d’écriture en lien avec une latéralité contrariée, la question d‘envisager ou de ne pas envisager un changement de main pour écrire est susceptible de se poser.
Nous partageons ici notre réflexion de psychomotricien autour de ce sujet peu abordé dans la littérature.
Quelques remarques préalables au sujet de la latéralité
L’ensemble des dominances fonctionnelles d’un individu (au niveau de son œil, sa main et son pied) font état de sa latéralité[1].
Le processus de latéralisation dépend d’une répartition asymétrique des fonctions des hémisphères cérébraux, sous l’influence de multiples facteurs, génétiques et environnementaux[2][3].
Le bilan psychomoteur inclut des tests appréciant la latéralité de l’individu d’un point de vue usuel (qui s’observe par ses préférences d’utilisation, notamment d’une main par rapport à l’autre) ainsi que d’un point de vue neurologique (qui s’observe par exemple par les différences de tonicité entre ses deux membres).
La latéralité manuelle est la plus sensible car particulièrement soumise aux facteurs exogènes (pressions socio-culturelles, imitation, adaptation au milieu…).
On parle de latéralité contrariée lorsque la dominance naturelle a été détournée par une incapacité d’action du membre dominant (plâtre, paralysie…) ou encore par une influence de l’entourage et/ou du matériel à disposition.
Nous savons à ce propos qu’il demeure des différences persistantes dans la neuroanatomie fonctionnelle de l’écriture manuscrite entre les droitiers et les gauchers « convertis », même après des décennies de pratique [4].
Ce phénomène concerne en grande majorité des gauchers susceptibles d’écrire à tort de la main droite malgré leur disposition naturelle vers la gaucherie (par l’exigence du conformisme d’ il y a quelques décennies, par l’influence religieuse dans certains pays, par l’imitation de modèles droitiers, par commodité pour s’adapter à un monde de droitiers, etc).
Or, il s’avère bien compliqué de demander à un enfant de plus de 6 ans, ayant pris l’habitude d’écrire de sa « mauvaise » main, d’effectuer un changement de main. En effet, il s’agit d’une habileté motrice devenue automatisée et de fait de moins en moins modifiable sans efforts conséquents.
L’écueil le plus risqué serait d’aboutir à une mauvaise écriture des deux mains !
Prenons l’exemple d’un enfant de 7 ans, qui écrit de la main droite alors que tout porte à croire qu’il est gaucher.
Voici les questions que nous nous posons lors du bilan psychomoteur pour estimer la balance coût/bénéfice d’un éventuel changement de main tardif :
Quels sont les facteurs ayant influencé le « choix » de l’enfant vers sa main droite ?
Il est pertinent d’en discuter avec lui car ils continueront probablement à « peser » en cas de changement de main.
Exemples : « Je veux faire comme mon grand frère » ; « je ne veux pas faire différemment des autres » ; « on m’a dit que ce n’était pas pratique d’écrire de la main gauche », etc.
Avec quelle main l’enfant réalise-t-il les actions usuelles de la vie quotidienne ?
Des changements de mains encore fréquents lors d’activités spontanées (rattrapage de balle, utilisation d’outils, etc.) traduisent un manque de stabilité de la latéralité manuelle. Cela peut indiquer qu’une intervention de l’adulte est envisageable pour guider l’enfant vers un choix plus affirmé.
Si les préférences d’utilisation manuelle sont hétérogènes mais fixées (lance toujours de la main gauche mais découpe toujours avec sa main droite, etc.), alors ces éléments présageront d’une opération particulièrement coûteuse à mettre en œuvre en cas de changement « imposé » pour écrire.
Quelles sont les performances comparatives entre les deux mains ?
Lors des tests de motricité, une performance manuelle significativement meilleure à gauche dans de nombreux domaines peut constituer un élément favorable pour guider l’enfant vers une prise de conscience de son efficience du côté gauche.
L’enfant parvient-il à écrire de la main gauche ?
Cette expérimentation nous permet une première estimation de l’étendue de l’effort à fournir en cas de changement de main. Si nous n’observons pas de gain de relâchement musculaire, d’aisance globale et d’amélioration de la qualité du tracé, le ré-apprentissage s’annonce laborieux.
Qu’en est-il de sa motivation pour un éventuel changement de main ?
Si l’enfant s’y oppose et/ou ne voit pas l’intérêt de faire cet effort de ré-adaptation, cela constituera évidemment un frein.
Schéma récapitulatif :
Au regard de ces éléments, voici deux cas de figure courants pouvant conduire à une éventuelle prise de décision suite à l’hypothèse d’une latéralité contrariée (mise en exergue par le bilan psychomoteur) :
- Si l’enfant qui présente une latéralité contrariée a moins de 5 ans et affiche de bonnes aptitudes à utiliser la main qu’il a peu investi jusqu’alors, nous tentons la plupart du temps de le guider vers un changement de main scriptrice.
- Si l’enfant a 6-7 ans révolus, que ses performances ne sont pas significativement meilleures d’un côté par rapport à l’autre et qu’il est peu motivé pour « ré-apprendre » à écrire de l’autre main, nous ne préconiserons pas ce changement et opterons plutôt pour des aménagements de confort (travailler sur la régulation tonique, l’aspect visuo-moteur, les adaptations matérielles, etc.).
Pour les cas moins « évidents », nous nous référons à nos questionnements présentés au préalable afin d’en dégager la solution la plus optimale.
Bien sûr, ces éléments demeurent contextuels, à l’appréciation du professionnel ainsi que de la famille concernée et ne constituent pas des règles strictes.
Juliette Martin et Aurélien D’Ignazio, psychomotriciens D.E
[1] Voir notre ouvrage 100 idées pour développer la psychomotricité des enfants pour plus d’éléments (D’Ignazio, Martin, Tom Pousse, 2018)
[2] Fagard, J. (2012). Aux origines de la préférence manuelle. Dans Enfance 2012/1 (N° 1), pages 97 à 114 Éditions NecPlus.
[3]Raynal, N., Verschoore, V., Vincent, F. (2010). Généralités sur la latéralité. Évolutions Psychomotrices, vol. 22, n° 89.
[4] Bloem BR, Schwaiger M, Conrad B. (2002). Conséquences à long terme du changement de main : une étude de tomographie par émission de positrons sur l’écriture manuscrite chez les gauchers « convertis ». J Neurosci. 2002 Avr 1;22(7):2816-25.
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