Après une brève introduction épidémiologique, nous aborderons les complications et les causes possibles de cette façon particulière de se déplacer, caractérisée par l’absence de contact entre le sol et le talon de l’enfant.
Nous présenterons des exercices et autres dispositifs spécifiques pouvant être préconisés et réalisés par des psychomotriciens ou autres professionnels concernés (ergothérapeutes, kinésithérapeutes…), en finissant par évoquer les traitements médicaux de derniers recours. Le médecin demeure la référence de première intention et à fortiori le chirurgien orthopédiste pour un avis spécialisé.

La démarche sur la pointe des pieds (« marche sur les orteils » ; « marche en équin » ; « marche digitigrade » ; « toe-walking »…) est fréquente et transitoire chez le jeune enfant (surtout avant 3 ans).
Un enfant sur 20 marcherait sur les orteils entre 1 et 2 ans avant de revenir à une marche plus régulière (Engström & Tedroff, 2012 : étude longitudinale sur plus de 1400 enfants).
Michel Robert (2018), ancien chef de service de chirurgie pédiatrique d’Orléans, rappel que la marche digitigrade du jeune enfant est un trait caractéristique du développement normal. Le passage à la marche plantigrade étant dépendante de l’expérience de la pratique locomotrice.
Anormale si elle s’installe durablement, cette marche peut être caractéristique de certains enfants présentant un Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA), en lien avec leur atypie de développement et/ou de traitement de l’information sensorielle.
Plus de 40 % des enfants présentant un trouble du neurodéveloppement marcheraient ou auraient marché sur la pointe des pieds (Engström & Tedroff, 2012).
17 % de la consultation orthopédiatrique pour une marche sur la pointe des pieds concernait des TSA (enquête de Robert, 2018).
Risques de complications
À l’excès, la marche sur les orteils peut entrainer :
- des problèmes d’équilibre (dus à l’instabilité de la cheville)
- des tensions au niveau des muscles du mollet (on parle parfois d’hypertrophie)
- une diminution de l’amplitude des mouvements des chevilles (par rétraction du tendon d’Achille)
Le repérage précoce de la marche sur la pointe des pieds peut aider à prévenir ces troubles musculo-tendineux.

Causes de la marche sur la pointe des pieds
En première intention, il est préférable d’écarter toute cause somatique avérée telle une origine anatomique et/ou neuromusculaire.
Le psychomotricien peut repérer les signes neurologiques mineurs mais nous recommandons un examen orthopédique à la recherche d’éventuelles brièveté des muscles du mollet (rétractions musculaires entrainant un raccourcissement du triceps sural) et neurologique à la recherche d’anomalies (de type myopathique ou spastique en cas de limitation de la flexiondorsale de cheville lors de l’examen passif).
La littérature pédiatrique fait état de certains cas de marche en équin antalgique, consécutive d’ une pathologie inflammatoire au niveau du talon (maladie de Sever) et disparaissant avec le repos.
Nous écarterons également la possibilité d’habitude comportementale résiduelle après apprentissage de la marche en trotteur.
Si la marche sur la pointe des pieds s’avère idiopathique (sans cause connue) et dans le cadre d’un TSA, les particularités sensorielles sont à envisager au moyen de différentes hypothèses et de moyens d’évaluation :
- une hypersensibilité tactile superficielle qui entraînerait l’enfant à éviter le contact de sa voûte plantaire avec la surface du sol (ainsi on observerait une majoration du phénomène pieds nus et/ou en contact avec une surface particulièrement irritante).
- une hyposensibilité qui entraînerait l’enfant à se procurer un niveau de stimulation important (sensations tendineux-musculaires au niveau de la contraction du mollet et/ou de l’oreille interne par le déséquilibre éprouvé) Une relation entre la marche en équin et un dysfonctionnement de la sensibilité vestibulaire et / ou proprioceptive a été proposée (Soto Insuga & al. 2018).
- un déficit postural, affectant le développement sensori-moteur précoce et ayant entrainé ce moyen de compensation particulier. L’hypothèse étiologique serait une altération du processus de maitrise des ajustement posturaux anticipés (APA) par défaut de transfert du poids du corps.
Si la cause provient d’un déficit d’intégration sensorielle, il n’en demeure pas moins que la conséquence indésirable en sera la rétraction tendineuse plus ou moins marquée.
À noter qu’une marche sur la pointe des pieds passagère et soudaine peut aussi être le signe d’une émotion forte, s’exprimant au travers du tonus des muscles striés.

Traitements
1/ « Manuels »
2/ « Sensoriels »
3/ Orthopédiques
4/ Chirurgicaux
L’analyse rétrospective (sur dix ans) de la base de données de milliers d’enfants américains (Leyden, Fung & Frick, 2019) soutient l’association entre une plus grande prévalence de la marche des pieds chez les enfants avec TSA et renseigne les statistiques de résolution :
Sans intervention (physique ou chirurgicale), 60 % des patients atteints de TSA ont continué à marcher sur les pieds dans les dix ans suivant leur diagnostic contre 19 % des patients sans TSA.
L’intervention chirurgicale est proposée à 3% aux enfants TSA contre 1% pour les enfants « typiques ».
1) Traitements manuels
Il s’agit d’un travail passif : l’enfant demeure allongé sur le dos pendant que l’adulte agit directement sur la cheville.
Le but de l’intervention est d’étirer les muscles du mollet (pour les détendre) et ainsi redonner de la souplesse à la cheville. Selon la position, nous pouvons accentuer ce travail d’étirement sur les muscles du mollet (le muscle solaire notamment) ou le reporter davantage sur le tendon.
L’étirement du mollet
Les genoux « maintenus » en extension, lever le pied de l’enfant vers sa tête. Maintenez l’étirement à la fin du mouvement (en respectant bien sûr les limites physiologiques) de 15 à 30 secondes et ramenez le pied en position naturelle.
Répétez l’exercice chaque jour, dix fois pour chaque jambe.

Source : https://www.aboutkidshealth.ca (site ressource de l’hôpital de Toronto au Canada)
L’étirement du tendon d’Achille
Les genoux « maintenus » en position pliée, soulevez le pied de l’enfant vers sa tête, la cheville en dorsiflexion (orteils vers le tibia). Maintenez l’étirement à la fin du mouvement (en respectant bien sûr les limites physiologiques) de 15 à 30 secondes.
Ramenez le pied de l’enfant en position normale.
Répétez l’exercice chaque jour, dix fois pour chaque jambe.

Conseils :
- Au quotidien, favoriser les situations (adaptées à son âge) où l’enfant est amené à poser sa voute plantaire au sol : marcher sur des surfaces instables, marcher sur les talons, marcher sur un plan incliné, lui faire essayer des chaussures qui s’allument au sol (si cela peut constituer un centre d’intérêt pour l’enfant…).



- Différentes rééducations (kinésithérapie, psychomotricité, ergothérapie) peuvent accompagner ce travail fonctionnel en favorisant le travail de flexion dorsale, avec parcimonie lors des séances.

2) Traitements sensoriels
Ces mesures utilisent notamment du matériel sensoriel ainsi que des techniques spécifiques dont voici quelques exemples :
-Stimulations passives de la voute plantaire
= pressions profondes, vibrations (vibreur, coussin-vibreur), stimulation avec balle à picots, toucher thérapeutique, brossage tactile…



Nous visons une meilleure habituation aux expositions tactiles dans le cas d’hypersensibilité et/ou l’augmentation de la prise de conscience proprioceptive, indispensable à la stabilité posturale.
-Parcours sensoriels
Les dalles tactiles sont souvent incluses dans nos parcours psychomoteurs afin de maintenir l’aspect ludique de la situation, sans omettre un travail plus global et dynamique de prise de conscience des points d’appuis.

-Port de bracelets lestés aux chevilles

Conseils d’utilisation des chevillères lestées :
Le principe est d’augmenter le flux d’informations proprioceptives en provenance des chevilles (considérées comme point d’ancrage des ajustements posturaux) afin de « re-intégrer » le transfert de poids d’avant en arrière (antéro-postérieur).
Un poids standard de 250g est adapté (de 4 à 10 ans) pour une durée de port de 30 minutes (avec ou sans chaussures) et ceci sur environ 3 semaines d’affilées afin de pourvoir en évaluer l’efficacité.
Source : Olivier Gorgy, méthodologie sensoted
En parallèle au port de bracelets lestés nous conseillons d’introduire une consigne verbale de type « pieds à plat » (selon le niveau de compréhension de l’enfant) afin d’y associer cette action que l’on pourra lui demander par la suite en l’absence de lestage.
⚠ Ces préconisations sont à considérer comme des conseils et outils empiriques, à tester pour en évaluer l’efficacité. Il ne s’agit pas de règles strictes et exhaustives se substituant à un avis médical.
3) Traitements orthopédiques
Peuvent être proposés après examen complet : chaussures et/ou semelles orthopédiques adaptées, voire des orthèses ou des plâtres correcteurs.
Le chirurgien orthopédiste, Dr. Ligier évoque leur nécessité au delà de quarante degrés d’extension de cheville.

4) Traitements médicaux/ chirurgicaux
L’injection de toxine botulinique (Botox®) est parfois utilisée pour affaiblir les muscles du mollet et ainsi diminuer l’intensité de la marche sur la pointe des pieds.
En dernier recours, l’opération chirurgicale (ténotomie) est envisagée. Cela concerne le plus souvent les personnes avec handicap moteur (paralysie cérébrale…) et présentant une spasticité (crispation involontaire) si importante qu’elle entraine une rétractation tendineuse extrême et douloureuse. Voir ici quelque informations au sujet de la technique d’allongement de tendon d’Achille : https://www.sofcot.fr/sites/www.sofcot.fr/files/medias/documents/7_ALLONGEMENT_ACHILLE_VF.pdf
Aurélien D’Ignazio, Psychomotricien D.E & Master
Bibliographie
Engström, P., Tedroff, K. (2012). The Prevalence and Course of Idiopathic Toe-Walking in 5-Year-Old Children, Pediatrics, 130, August 2012.
Leyden, J., L. Fung., & Frick, S. (2019). Autism and toe-walking: are they related ? Trends and treatment patterns between 2005 and 2016.
Robert, M. (2018). Démarche sur la pointe des pieds chez enfant : étude prospective de 343 enfants marchant en équin dont 59 atteints de TSA,Bulletin Scientifique de l’ARAPI, 42,Hiver 2018
Seetha, V. (2008). Évaluation du traitement de l’ ́equin chez l’enfant par la toxine botulique : approche multidisciplinaire au centre hospitalier d’Annecy. Human health and pathology.
Soto Insuga, V.,Moreno, B. & al. (2018). Do children with attention deficit and hyperactivity disorder (ADHD) have a different gait pattern? Relationship between idiopathic toe-walking and ADHD. Anales de Pediatría (English Edition) 88(4).
Ressources Web sur ce sujet :
Article de Josiane Carron (ergothérapeute) : Faut-il s’inquiéter quand un enfant marche sur la pointe des pieds?
Site de l’hôpital pour enfants de Toronto (Canada) :https://www.aboutkidshealth.ca
Site d’Olivier Gorgy, expert et formateur en intégration sensorielle : http://www.sensoted.fr
Formations en intégration sensorielle ouvertes aux psychomotriciens : https://www.psychomotricien-liberal.com/2018/09/25/formations-en-integration-sensorielle-ouverts-aux-psychomotriciens/
Notre ouvrage : 100 idées pour développer la psychomotricité des enfants
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