[mise à jour : Décembre 2020]
Le comportement des personnes autistes à l’égard de leurs vêtements peut être atypique : opposition au moment de l’habillage ; manipulation excessive du tissu (déchirement et entortillement) ; déshabillage compulsif ; refus de se séparer de certaines affaires…
Nous apporterons différents angles d’analyse de ces conduites pouvant être inadaptées et proposerons des pistes d’amélioration selon diverses hypothèses :
- La résistance aux changement
- L’hypersensibilité tactile
- L’hyposensibilité tactile et proprioceptive
- L’hyposensibilité olfactive
- La réflexion sur la sensation d’ « enveloppe corporelle » (sur une base de physiologie et de témoignages d’autistes de haut niveau)
La résistance au changement et les vêtements
Un des critères diagnostics du DSM 5 inclut « l’attachement excessif à des routines, modèles de comportement verbal et non verbal ritualisés ou résistance excessive au changement » (APA, 2013). Ce manque de flexibilité cognitive et d’adaptation à la nouveauté, bien identifié chez les personnes TSA, peut tout à fait s’appliquer à l’habillage.
👁 Exemples de comportements observables : refus catégorique à la nouveauté vestimentaire ; volonté de toujours porter les mêmes habits, refuse que l’on jette ses anciens vêtements bien que trop petits ou déchirés ; etc.
Modifier la couleur, la texture, le modèle ou autres éléments constitutifs de la routine de l’habillage sont autant d’informations nouvelles à appréhender, pouvant entrainer un « blocage » chez la personne avec TSA préférant maintenir des repères stables dans son environnement.

➡️ Pistes à adapter selon le niveau d’âge et de compréhension de la personne :
-l’introduction progressive : une seule nouveauté à la fois (si on modifie la couleur, on ne modifie pas le modèle, ou inversement)
-l’anticipation par présentation visuelle préalable (de la tenue du jour, des différentes tenues de la semaine…)
-mise en place de programme éducatif visant l’augmentation de la motivation du port de chaque nouveau vêtement par système de renforçateur
Outre la résistance au changement d’un habit, nous relevons que le besoin de maitrise de l’environnement va souvent de paire avec la nécessité d’une perception visuelle stable qu’il vaut mieux respecter dans la mesure du possible.
👁 Exemples de comportements observables : ne supporte pas qu’un cordon dépasse ; évite de faire des plis, exige que les lacets soient toujours noués de la même façon ; exerce des rituels de vérification ; etc.
Voici une photo d’une adolescente TSA qui me décrit très finement sa nécessité chaque matin d’enfiler ses chaussettes retournées pour éliminer l’inconfort des coutures, tout en les retroussant sur le dessus pour obtenir un alignement satisfaisant au niveau visuel.

L’hypersensibilité tactile et les vêtements
Du fait d’un seuil de tolérance plus bas que la moyenne, un faible niveau de stimulation lié au toucher est suffisant pour susciter des réactions comportementales indésirables (inconfort, irritabilité, évitement, retrait…). (Dunn, 2001)
L’enfant ou l’adulte autiste « hypersensible » au niveau tactile détecte trop intensément et/ou évite certaines sensations et n’est pas toujours en mesure de s’habituer au contact des vêtements sur sa peau.
👁 Exemples de comportements observables : refuse de porter certains vêtements ; montre une sensation d’inconfort (se gratte, se « tortille ») ; évite les manches courtes ou au contraire ne supporte que cela ; n’apprécie pas porter un vêtement après lavage ; ne supporte pas les cordons ; arrache les étiquettes ; retourne son vêtement ou son sous-vêtement pour éviter les coutures ; remonte ou descend son pantalon à l’ »extrême » ; rentre son t-shit dans son sous-vêtement ; déchire certains vêtements ; se déshabille de façon compulsive ; etc.

➡️ Pistes à adapter selon le niveau d’âge et de compréhension de la personne
✓Action sur le matériel
Ôter les étiquettes ; évitez certaines matières irritantes (de type pull-over ou chandail) ; si nécessaire doubler les vêtements d’une texture plus tolérable ; autoriser le port de la capuche ; proposer des vêtements plus serrés qui limiterons les sensations de frottements ou au contraire très large dans une matière souvent proche du coton ; essayer des vêtements et/ou sous-vêtements avec élastique au-dessus de la taille ; proposer le port de vêtements préalablement étendus sur le radiateur pour se rapprocher de la température corporelle ; passer les vêtements au défroisseur vapeur pour les assouplir (et diminuer la sensation « rêche » post-lavage…) ; etc.
✓Action sur la personne
-Exercer un traitement de désensibilisation tactile de type Wilbarger (2002) visant une meilleure habituation, guidé préalablement par un professionnel formé (psychomotricien, ergothérapeute…) et pouvant être reproduit quotidiennement par les parents ou en auto-administration.
-Apporter des outils et stratégies favorisant une meilleure gestion émotionnelle qu’ils soient cognitifs (anticipation, visualisation…), psycho-corporels (relaxation…) et/ou sensoriels (manipulations…). Dans certains cas, occuper les mains de la personne (objet sensoriel, fidget, balle anti-stress, hand-spiner…) peu en effet détourner l’attention sur une occupation agréable et diminuer le comportement problème.

Dans le cas d’hypersensibilité tactile, nous serons également attentifs au fait qu’un comportement atypique à l’égard de ses vêtements peut également être entretenu pour sa fonction efficace de protection contre les éléments extérieurs potentiellement intrusifs.
👁 Exemples de comportements observables : s’emmitoufle dans sa capuche et/ou son col ; refuse d’enlever son manteau ; surajoute des couches de vêtements ; évite les manches courtes ; etc.
Ainsi, le choix des vêtement peut constituer une véritable stratégie d’adaptation quotidienne pour les personnes autistes étant en mesure d’anticiper leurs difficultés. Brigitte Harrisson (TSA de haut niveau et formatrice SACCADE) le décrit fort bien :
« Si je ne vois pas le toucher d’une personne, je ne peux pas associer la sensation physique du toucher à la vue du mouvement de la main (…) je risque de trainer l’empreinte avec moi pendant des heures. Cette empreinte entre dans ma peau et y reste. C’est très désagréable. Je porte des vêtements à manches longues, lorsque je sors parmi les gens, pour éviter de collectionner les empoignes de tout le monde ! » (Harrisson & Sont-Charles, 2020).
Les aspects en lien avec la température corporelle sont à relier physiologiquement au sens tactile. Ainsi une sensibilité particulière au niveau cutanée peut être concomitante à des difficultés de thermorégulation et entrainer – par exemple – des rituels et/ou des essayages multiples pour choisir le vêtement le plus adapté à la personne et ses sensations du moment en fonction de la météo (redouter de trop transpirer, d’avoir trop froid, etc.).
Outre les difficultés de modulation sensorielle, c’est ainsi le versant cognitif menant à la représentation mentale qui est affecté. Certains comportements peuvent ainsi être relier à l’hypothèse de la « surconnectivité du cerveau autiste » ou « surconnexion perceptive » (Mottron).
L’hyposensibilité tactile et les vêtements
Du fait d’un seuil de tolérance plus haut que la moyenne, un haut niveau de stimulation peut être nécessaire pour que les stimuli liés au toucher puissent être traités suffisamment efficacement par le système nerveux.
L’enfant ou l’adulte hyposensible au niveau tactile peut « manquer » l’information sensorielle pertinente et/ou peut avoir recours à des comportements d’auto-stimulation pour maintenir un niveau de stimulation nécessaire. (Dunn, 2001)
👁 Exemples de comportements observables : entortille ses vêtements autour du corps ; se remonte le pantalon très haut ; serre sa ceinture à l’extrême ; porte plusieurs chaussettes aux pieds ; se frotte une partie de son vêtement sur sa peau ; donne l’impression de chercher à se « compresser » (s’enfouit sous des coussins ou des tapis, se plaque sur des surfaces solides…) ; etc.
➡️ Pistes à adapter selon le niveau d’âge et de compréhension de la personne :
✓ Action sur le matériel
Essayer certains habits comme des vestons strappés, vêtements moulants (type pantalon d’équitation) ; t-shirt compressifs ; etc.
Voir l’article d’Autisme Diffusion sur les vêtements compressifs ou encore le notre sur les couvertures et gilets lestés.

Ces propositions de matériels ne constituent pas de contre-indication médicale en soi mais leur utilisation reste à l’heure actuelle encore relativement empirique et à adapter au mieux au rythme propre de l’enfant (et idéalement à son moyen de communication – verbal ou alternatif – afin qu’il puisse en manifester l’envie une fois expérimenté).
✓ Action sur la personne :
Apporter les stimulations nécessaires à l’équilibre sensori-moteur de la personne TSA : il peut s’agir d’activités et de loisirs sollicitant les systèmes tactiles et proprioceptifs (comme la piscine pour la propriété de l’eau qui stimule la peau ainsi que par la pression des jets d’eau ; l’escalade pour les contraintes musculaires qu’elle entraine…) et/ou de dispositifs (pressions profondes, jeux de discrimination tactile…) mis en place par un professionnel.
L’hyposensibilité olfactive et les vêtements
Du fait d’un seuil de tolérance plus haut que la moyenne, un haut niveau de stimulation est nécessaire pour que les stimuli liés aux odeurs puisse être traités efficacement par le système nerveux.
Comme évoqué précédemment, l’enfant ou l’adulte hyposensible au niveau olfactif peut ignorer ou avoir recours à des sensations fortes pour maintenir un niveau de stimulation nécessaire.
L’olfaction intervient également dans l’activation de souvenirs et de la régulation émotionnelle. Elle peut jouer un rôle d’auto-apaisement et de rassurance.
👁 Exemples de comportements observables : garder les mêmes vêtements très longtemps ; refuser de les laver ; uriner dans ses vêtements ; etc.

➡️ Pistes à adapter selon le niveau d’âge et de compréhension de la personne :
-Rediriger vers des odeurs fortes mais socialement acceptables (parfum, matériel odorant toujours disponible sur soi en flacon ou petit coussin imbibé…).
-Réaliser des jeux et/ou situations de discrimination olfactive (loto des odeurs…).
À noter que certaines familles nous ont rapporté que les changements de détergent étaient rapidement repérables par leur enfant…
Vous retrouverez le détail de notre approche, les soubassements théoriques, les exemples de programmes à partir de profils sensoriels spécifiques ainsi que notre « boite à outils » (analyse des stéréotypies, procédure sur comportements-problèmes, protocoles ciblés, etc.) dans notre ouvrage ci-dessous :

Réflexion sur la « sensation d’enveloppe » et les vêtements
N’y voyez pas là une conception théorique obscure ! mais une « image » pour une meilleure compréhension d’une réalité physiologique et étayée sur le témoignages de certains autistes verbaux.
Il est habituel de citer le témoignage de Temple Grandin et de sa fameuse « Fracturing Perception » (Grandin, 1994) illustrant la défaillance de cette « sensation d’enveloppe » que peuvent vivre certains autistes et l’anxiété pouvant s’y rapporter.
Laura, jeune fille TSA de 25 ans me décrit qu’elle « perd le sentiment d’avoir une enveloppe corporelle plusieurs fois dans la journée ». Elle remédie à cela par des brossages sensoriels réguliers et des exercices de contractions musculaires, lui permettant de maintenir plus sereinement la sensation de l’intégrité et des limites de son corps.

La conscience de la limite entre l’intérieur et l’extérieur de notre corps s’établit notamment au moyen de récepteurs cutanés (provenant de la peau) et proprioceptifs (provenant des muscles, tendons et articulations) qui informent en permanence le système nerveux (sensation de toucher, d’être touché, de pression, de chaleur, de douleur, de tension musculaire, de mouvement…) et permettant cette représentation des « limites du corps ».
Ainsi, il est parfois possible de considérer certains comportements en rapport avec le vêtement comme un moyen de maintenir une « sensation d’enveloppe » par l’enveloppe odorante qu’il procure (le parfum habituel qui en est imprégné, la forte odeur qu’il finit par dégager…) ou encore par l’enveloppe tactile qu’il entraine (l’effet de compression, la sensation d’être contenu, la protection éventuelle contre les stimuli extérieurs…).
En plus de renforcer les habiletés motrices et sociales, le psychomotricien est en mesure d’effectuer des traitements spécifiques d’intégration sensorielle (Gorgy, 2013), susceptibles de renforcer la sensation des limites corporelles chez les personnes autistes (percussions osseuses, pressions profondes, proposition de couverture lestée...). Le bien-être, l’apaisement et l’abaissement du niveau d’activité sont également visés par ce genre de dispositif. Psychomotriciens et ergothérapeutes peuvent également conseiller des programmes sensoriels et aménagements à réaliser à la maison.

⚠️ De notre point de vue pragmatique, toute la subtilité éducative vis-à-vis des vêtements est de trouver le juste équilibre entre ce qui relève du « socialement adapté » tout en respectant au mieux les besoins « psycho-corporels » de la personne.
Aménagements et compromis sont alors à imaginer et à tester tout en s’adaptant aux singularités de chacun.
Aurélien D’Ignazio, Psychomotricien D.E & Master.
Bibliographie
Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (2013) ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux – Association Américaine de Psychiatrie (APA).
Dunn, W. (2001). The Sensations of Everyday Life: Empirical, Theoretical, and Pragmatic Considerations.The American Journal of Occupational Therapy, 55(6), 608-620.
Gorgy O. (2013). Intégration sensorielle : concept et application en psychomotricité auprès de l’enfant avec autisme. In J Perrin, T Maffre (Eds.), Autisme et psychomotricité (pp.403-424). Bruxelles : De Boeck-Solal.
Harrison, B. & St-Charles L. (2020). L’autisme expliqué aux non-autistes. Poche Marabout.
Wilbarger, J. & Wilbarger, P. (2002). Wilbarger approach to treating sensory defensiveness and clinical application of the sensory diet. Sections in alternative and complementary programs for intervention, In Bundy, A.C., Murray, E.A., & Lane, S. (Eds.). Sensory Integration: Theory and Practice, 2nd Ed. F.A. Davis, Philadelphia, PA.
Informations complémentaires
– Stratégie d’habillage proposée par le site « deux-minutes-pour… » en vidéo : https://deux-minutes-pour.org/video/jaide-emy-a-shabiller/ ainsi qu’en PDF : https://deux-minutes-pour.org/admin/wp-content/uploads/2018/02/jaide-emy-a-shabiller-pdf.pdf
– Guide de l’ANEPEI sur les comportements problèmes : http://www.unapei.org/IMG/pdf/unapei-guideautisme_dossier7.pdf
– Recommandations de bonnes pratiques (2012) : https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2012-03/recommandations_autisme_ted_enfant_adolescent_interventions.pdf
– La modélisation du bonhomme hypersensible : https://www.psychomotricien-liberal.com/2017/09/10/hypersensibilite-bonhomme-hypersensible/
–Matériel sensoriel : Hoptoys (https://www.hoptoys.fr/particularites-sensorielles-comment-l-aider–c-2443.html) ; Page Facebook sur les couvertures lestées personnalisées : https://www.facebook.com/Les-couvertures-lestées-personnalisées-1739476599711896/
– Formations en Intégration Sensorielle ouvertes aux psychomotriciens et/ou aux familles :
Olivier Gorgy, psychomotricien : www.sensoted.fr & https://www.psychomotricien-liberal.com/2017/06/28/formation-integration-sensorielle-o-gorgy/
L’AFREE : http://www.afree.asso.fr/wp/wp-content/uploads/2015/02/Prog-Ttt-sensoriel-18.pdf
Formation SuperVision : http://www.formavision-autisme.com/theme_formation/sensorialite-et-trouble-du-spectre-autistique/
EDI Formation : http://ediformation.fr/downloads/devis%202018/F26-2018.pdf
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